Dessin de Bianca
Il est 7h00. Elle ne pense pas encore à toutes ses tâches quotidiennes, ou peut-être que si, une odeur de déjà vu avant même d'avoir quitté le lit. Elle se retourne, se replie au creux des draps, s'enveloppe de la douceur de la couverture soupire et se rendort.
Il est 7h30. Elle se lève enfin et se dépêche. Quitter la chaleur de la couette, descendre les escaliers, les chevilles endolories qui lui rappellent ce qu'elle a fait la veille. La petite dort encore. Les garçons ne l'ont pas dérangée dans son sommeil et sont déjà partis pour l'école. Ils connaissent cet état particulier des matins difficiles de leur mère. Elle va dans la cuisine, allume la gazinière, remplit la casserole d'eau filtrée, la pose sur le feu, elle veut se préparer un thé, évite de penser que aujourd'hui, il n'y aura certainement pas d'espace pour....
cette heure de marche
cette heure de dessin
cette heure de montage-film
cette heure de toi et moi.
Il est 08h15, elle téléphone à l'école maternelle pour excuser l'absence de sa fille qui a mal dormi vous savez, oui, elle tousse un peu, non, elle n'a pas de fièvre.
Il est 08h30. Elle veut réchauffer son thé qui s'est refroidi depuis l'instant d'avant. En se levant de sa chaise, elle sent sa jambe droite qui crie, en souvenir de trois heures dansées la veille, sur des talons aiguilles, quelle drôle d'idée, quand on mesure déjà 1m73 et qu'elle ne porte jamais de talons hauts. Le tango argentin se danse comme ça? Vraiment? Tu pourrais porter des baskets plates la prochaine fois? lui dit la jambe gauche.
Il est 09h00. Elle sort de la maison pour aller vers l'atelier. Elle veut voir cette peinture qu'elle essaie d'accomplir depuis plus d'un mois, un grand format qui sèche dehors, qui reçoit la pluie, le vent, tombe parfois sur l'herbe, s'imprègne de la terre, oui, c'est voulu vous savez, c'est un travail pictural, oui, un dialogue entre les éléments, le support, les pigments, ses mains et son esprit. Ce que ce sera? Elle ne sait pas... Elle soulève la peinture qui s'est écrasée sur ce sol, devant la porte de la petite cabane qui lui sert d'atelier. Depuis cinq jours, sous le poids de la neige, impossible de la déloger. Non. L'alchimie n'a pa seu lieu. Elle ne valide pas le résultat. Le vent glacial approuve que aujourd'hui n'est pas le jour. Elle retourne dans la maison. Elle voudrait faire ceci et cela, travailler son coup de crayon, continuer d'assembler des images et des sons, écrire le texte. Elle voudrait que la maison soit nette. Elle voudrait que tout s'allège mais ses paupières sont lourdes. Elle retourne à la cuisine faire la vaisselle de la veille. Puisqu'elle a dansé, elle n'a pas lavé. Elle pense à ce stage et ces mouvements ondulants, ces gestes faits sans joie finalement. L'apprentissage et ses peines. Répéter une succesion de pas qui ne viennent pas de l'intérieur. L'autre jour? Oui, je me souviens lui dit son coeur, c'était différent cette danse avec un homme qu'elle connaissait à peine, cet instant où les gestes étaient placés et accordés, sans paroles, simples et fluides, avec la musique. Aucun attachement à la personne, juste un instant d'harmonie.
Elle quitte la cuisine, elle quitte la vaisselle, elle coupe la ligne du téléphone, elle ne regarde pas quelle heure il est de ce côté-ci de la planète terre, elle retourne se coucher, malgré la lumière du soleil maintenant levé qui illumine la vallée et la chaîne montagneuse en face de sa fenêtre.
Oui, c'est une belle journée froide qui s'annonce.
*Le dessin est de Bianca